Dans un contexte de plus en plus compétitif et qui exige de maintenir un haut niveau de qualification des employés, les entreprises misent sur l’apprentissage de leurs salariés via la formation.
Le recours à la formation à distance (MOOC -Massive Open Online Course-, formation en ligne ouvert à tous, SPOC -Small Private Online Course-, cours en ligne en petit groupe) constitue une solution intéressante pour les entreprises. Une autre option est l’internalisation de la fonction formation par l’emploi de formateurs internes, ce qui exige qu’ils soient eux-mêmes formés à cette compétence. Nombre de responsables privilégient le recours à des dispositifs en ligne, ce qui leur permet de raccourcir ainsi le temps de formation.
Dès lors, la question est de savoir comment se structure la capacité des apprenants à mettre en œuvre leurs apprentissages virtuels en situation professionnelle réelle. Quels sont les facteurs nécessaires à la réussite d’une formation et les points de vigilance à avoir ?
Des inégalités dans l’apprentissage
Plusieurs recherches sur l’usage du numérique dans la formation professionnelle ont montré qu’il produit des inégalités dans l’apprentissage. En effet, la formation à distance complique l’apprentissage et le développement des compétences, entre autres raisons parce qu’elle prive l’apprenant des interactions bénéfiques avec les autres apprenants, alors même que les contextes professionnels exigent de plus en plus de compétences relationnelles et sociales qui sont délaissées avec ces procédés de formation. Autrement dit, les résultats des recherches sur l’usage du numérique dans la formation professionnelle convergent vers un même résultat : la formation à distance individualisée prive l’apprenant des échanges intellectuels, de la dimension affective et du besoin de soutien qu’offrent les formations présentielles en groupe. Apprendre est, du coup, plus difficile et les effets sont plus limités.
Le leurre d’un gain de temps et d’un gain d’argent
Dans cette perspective, on voit bien que le bénéfice perçu – a priori- du recours à la formation à distance constitue une lecture biaisée de la question de la formation des salariés. Des changements majeurs sont nécessaire pour appréhender et faire de la formation à distance : cela exige de repenser la pédagogie, l’ingénierie pédagogique et de trouver des adaptations pour compenser les limites inhérentes à ces changements. En d’autres termes, non seulement les formateurs passent beaucoup de temps sur la conception et la préparation d’une formation à distance mais surtout les apprenants temps de formation pour les apprenants. Il est donc illusoire d’associer au recours à la formation à distance un gain de temps et donc un gain financier.
Une logique d’organisation capacitante axée sur la liberté des salariés
Par ailleurs, pour qu’une formation à distance soit propice au transfert des apprentissages en situation professionnelle réelle, elle doit être inscrite dans une logique d’organisation durablement capacitance. Dans ce sens, l’entreprise doit jouer un rôle majeur en créant les conditions d’apprentissage adaptées aux contraintes de la formation à distance : qui apprend quoi, qui apprend avec quoi, qui apprend quand, etc. Bref, si l’entreprise veut véritablement mettre en œuvre de la formation à distance, alors elle est mécaniquement obligée d’interroger sa capacité à produire les conditions d’une plus grande autonomie du salarié. Cette approche, issue des théories d’Amartia Sen, défend l’idée centrale suivante : pour réduire les inégalités de développement, il faut permettre l’augmentation des libertés des employés. Autrement dit, la liberté favorise le développement des connaissances et des compétences, elle est un instrument qui permet d’accomplir des choses. Dans ce sens, les directeurs et managers des entreprises ont aussi un rôle à jouer pour faire de l’environnement professionnel un lieu capacitant. Cela passe, notamment, par la négociation des charges et délais de la formation et par la reconnaissance du temps consacré dans l’échange par les différentes parties, que ce soit en présentiel ou à distance.
Le piège de la standardisation
Pour qu’il ait développement des compétences, il faut aussi que la structure de la formation soit flexible. Elle doit permettre l’articulation des temps d’apprentissage et des temps de travail. Ainsi, pour permettre un développement égalitaire des compétences, il faudrait donner la possibilité aux salariés de choisir entre différentes formes de formations : à distance ou en présentiel. Autrement dit, pour agir de manière durablement capacitante, il faut prolonger la formation par des échanges en ligne entre apprenants et intervenants portant sur les problèmes rencontrés et les éventuelles solutions à apporter.
En somme, pour qu’il ait un apprentissage égalitaire dans la formation professionnelle, il faut prendre en compte la nécessité de donner de la liberté aux apprenants, une liberté réelle dans le choix de la formation, de son mode de dispense, en présentiel ou à distance. Donner aussi la liberté au salarié d’appliquer ou non ses nouveaux savoirs en fonction de leur pertinence. Il est alors nécessaire d’identifier les éléments qui influencent le développement des compétences, comme la prise en compte de la charge de travail des différents acteurs ou encore la difficulté de concevoir et de mettre en œuvre une formation à distance. Dans ce sens, la question de la pertinence de l’emploi de technologies informatiques -aux fins de développer des savoirs pratiques qui seront exécutés collectivement- doit aussi nécessairement se poser.
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